A pas feutrés, je franchis la porte d'entrée du clos. Silence. C'est inhabituel. Où sont-ils donc?. Ah! Un attroupement, là bas: que se passe-t-il? Tous les regards convergent vers le même point, et personne ne semble avoir remarqué ma présence. Au fond, tant mieux car je suis en retard, une fois de plus. Dans ces cas là, on se fait discret. Silencieux comme un chat, intrigué, je m'approche et viens me positionner en arrière du groupe.
C'est Marc qui fait cercle autour de lui. Sur la photo ci contre, il semble expliquer qu'il a pêché une sardine grosse comme ça dans le Vieux-Port de Marseille. Mais non, vous n'y êtes pas. Docte, pédagogue à souhait, il dévoile les secrets et arcanes d'une taille digne de ce nom à son public médusé.
Manque de pot: il termine justement son exposé. Moi qui voulais feindre d'être là depuis le début, et d'avoir tout compris, c'est raté. A présent, il va falloir tailler, et mettre en application ce que nous venons d'entendre. Des groupes se constituent. Me voilà bien….
Je me faufile là où la gent féminine est dignement représentée. D'expérience je sais que cela me portera chance. Hommage à vous, amies vigneronnes, qui savez si bien nous mettre du baume au coeur, ce coeur qu'ensuite nous mettons à l'ouvrage. Hommage à vous sans qui nous autres, mâles, aurions l'air un peu idiots, privés que nous serions de la meilleure composante de notre Confrérie…
La taille Guyot, le cordon Royat, vous connaissez. Je ne vais pas vous la refaire ici.
Deci delà, on entendait des murmures, commentaires, interjections, que ponctuaient les clics et les clacs de nos sécateurs décidés. Par petits groupes, nous taillâmes tous les rangs de la plaine.
C'est fou, tout ce qu'un sécateur peut évoquer, selon la façon dont il est tenu. Dans une main virile et qui en a vu d'autres, il sera un instrument efficace, au tranchant précis et sans équivoque. Dans d'autres, il se donnera des airs de hachoir à viande tout droit sorti de chez le boucher du coin. Dans celle de votre serviteur, son action hasardeuse sera ponctuée régulièrement d'un mot sans ambigüité, par lequel le général Cambronne signifia son refus énergique de se rendre aux représentants de l'armée britannique, et dont la détermination suscita respect et admiration chez ces derniers. Dans des mains plus délicates, il se donnera des airs de ciseaux de couturière en usage dans les meilleurs salons, en un tour délicieusement féminin.
Il est midi moins le ricard, disait notre ami Coluche. Ce n'est pas d'anisette, mais de vin que nous nous régalerons lors de notre apéro. Certains donnent les derniers coups de sécateur, d'autres se dirigent déjà vers les tables, avec la sérénité que procure le travail bien fait.
Un joyeux désordre sur la table. Sécateurs, bouteilles, verres, sacs, gourmandises, et…. tire bouchons. Les bouchons sautent, les verres s'emplissent, des petites choses à manger circulent. Il flotte dans l'air ce petit quelque chose à nous si familier, fait d'amitié et de plaisir à partager. Un petit clin d'oeil à Marianne, et aux petites réjouissances gustatives qu'elle fait circuler parmi nous. Saluons encore un curieux petit vin de figue produit à Jezus-Eik, qui fit belle impression.
Nous abordons cette nouvelle saison avec sérénité, même si le général Hiver n'a pas encore dit son dernier mot, et se rappelle à notre bon souvenir encore cette semaine.