Deux mots-clés caractérisent cette matinée. Voyons cela.
Figurez-vous qu'on ne toucha pas aux ceps ce matin-là. Oh ! certes, à peine le signal du départ fut-il donné que André, notre jeune doyen, chatouillait déjà les pieds de la vigne sur les terrasses, tout là haut. Mais les uns et les autres s'égaillèrent comme une volée de moineaux.
On vit Jean-Jacques pousser la tondeuse gaillardement et changer la pelouse en un luxuriant tapis vert, tandis qu'une poignée d'activistes sonnait l'hallali de la chasse aux mauvaises herbes. André, notre maitre-ortilleur confirmé depuis bien longtemps, en fut le vrai premier. Mais l'acharnement de Douglas au combat, sa force, suffisante pour lui permettre d'entreprendre la traversée de l'Atlantique à la rame, nous laissèrent tous pantois.
Ailleurs, on briquait l'escalier avec une vigueur jamais observée jusque là, même aux temps héroïques de la marine à voile. La prochaine fois, c'est promis, on apporte l'aspirateur et les chaussons.
Ici, on s'expliquait avec un amoncellement de sarments que deux loustics passaient au broyeur tandis qu'une troupe valeureuse se débattait avec et des restants de lierre. Là, on approvisionnait le compost sous l'oeil sévère de Monique, spécialiste s'il en est.
Pendant ce temps là, contemplant la scène dans toute sa diversité comme s'il méditait sur le génie et la folie de l'homme, un visiteur inattendu se prélassait au soleil. Diversité : voici le premier mot-clé.
C'est l'heure de l'apéro. Quelques gouttes annonciatrices d'une drache bien fournie saluèrent le premier bouchon qui pétait de joie. Tandis que certains honoraient la mémoire du Général Cambronne par des incantations désormais connues, que d'autres vantaient les vertus du climat brabançon au moyen de qualificatifs choisis, on sortit en hâte la tonnelle pliante qui, pour le coup, se grima en parapluie géant. Bien nous en prit : la pluie cessa presque aussitôt.
« Ce matin, nous avons travaillé le visuel » résuma fort élégamment Jean-Jacques. Traduisez : notre vignoble s'est refait une beauté. Quand on produit un raisin dont on tire un vin unique, que l'on peut se targuer d'être le meilleur psychologue du monde, que l'on fédère énergie et amitié avec tant de brio, on se doit d'être beau, de plaire, de séduire. Visuel : voici le second mot-clé.
Notre vignoble est désormais tout beau tout propre. Oh ! Certes, il reste quelques sarments à broyer et bien des bouteilles à boire, mais la petite poignée de vignerons présents ce matin-là put savourer une nouvelle fois les vertus du partage des efforts et des joies, et les sensations que procure le devoir accompli.
Philippe C'est la pénicilline qui guérit les hommes, mais c'est le bon vin qui les rend heureux. Alexander Flemming