Le café chaud fumait dans les tasses. Les senteurs tièdes et rassurantes du matin emplissaient la cuisine, le pain grillé craquait sous les dents des enfants qui dévoraient de bel appétit.
A travers le carreau, la petite cour paraissait se désoler de cet hiver qui n'en finissait pas. Des traces de boue que la pluie avait projetées au bas des murs, les bacs à fleurs regorgeant de mousse et de terre trop humide, la végétation semblant demander grâce, n'en pouvant plus de ne pouvoir commencer sereinement son cycle annuel. Quelques flocons virevoletaient dans l'air, comme s'ils ne savaient plus s'ils devaient neiger vers le sol ou s'en retourner vers le ciel. Aux dires du thermomètre, placé sous abri comme il se doit, mieux valait s'abstenir de s'en aller tailler la vigne ce matin là.
L'expression que trahissait son regard était comme un assemblage de dépit, de compassion, et d'inquiétude, dont les proportions resteront un des secrets de la maison, et certainement pas vinifié selon la méthode champenoise.
Peut-être, au fond, a-t-elle raison. Notre Confrérie ne serait-elle qu'un refuge pour doux dingues que les aléas de la vie auraient jeté là, et n'ayant d'yeux que pour un seul objectif, au mépris des dangers et embuches qui jalonnent le chemin?
La réponse est là, sous nos yeux, évidente: tous ces sarments qu'il faut tailler, et tous ces vins qu'il reste à boire. Ce ne sont pas ces quelques flocons, qui tentent insidieusement de s'interposer entre la vigne et nous, qui ébranleront nos certitudes. Nous avons taillé dans la plaine, il nous faut tailler sur les terrasses.
Il est insolite de travailler la vigne lorsqu'il neige. Il l'est tout autant de prendre l'apéro dehors par un temps pareil. Hé oui, ma chère: nous l'avons fait. Et puis, veux-tu que je te dise? Nous étions bien.